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L’église de Seythenex

Extrait de l’article de Michel Duret du Bulletin d’Histoire et d’Archéologie n° 40-2003

 

Quelques mots tout d’abord sur les origines du nom de Seythenex.

Il semble qu’à l’époque gallo-romaine, les terres de cette contrée, proches d’une voie romaine qui reliait Faverges à Mercury par le Col de Tamié, étaient la propriété d’un certain Septime. Le nom pourrait donc provenir, soit du latin « Septimacus », soit de même du latin « Sextinacus », Sextinus signifiant « sixième ». Seythenex serait une orthographe moderne refaite de Seteney ou Setemey, on trouve en 1344, « Cura de Sestenay », puis « Setenay » et « Settenex » au XIXe siècle.

Carte des biens de l’abbaye de Tamié (1706)

Le village prend de l’importance au XIIème siècle avec la construction de l’abbaye de Tamié et de la route du Col.

Les Seytheneyards exploitent les richesses locales des forêts et des alpages, et jusqu’au milieu du XIXème siècle, des mines de fer de La Sambuy.
Les premières traces d’une église à Seythenex remontent à 1298, date où le curé traite avec l’abbaye de Talloires au sujet de Saint-Ruph. On la retrouve ensuite visitée par Monseigneur Jean de Bertrand le 24 juillet 1411.
Les revenus de la cure de Seythenex ont toujours été peu importants. On le voit en 1626, lors de la venue de Saint-François de Sales, on le voit encore en 1762, dans « l’état des revenus de la cure de Saint-Sigismond de Seythenex » où il est noté que la portion congrue du curé est très inférieure – environ de moitié – à la normale. Le curé reçoit bien les fruits d’un « petit rural » évalués à 36 livres en contrepartie de six basses messes et de deux grandes, mais il partage avec les chanoines de Notre-Dame d’Annecy la moitié de la dîme.

Le patron de la paroisse est Saint-Sigismond, roi de Bourgogne en 516, assassiné en 523 sur l’ordre de Clodomir, roi des Francs puis jeté dans un puits. Il est le fondateur de l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune.

Entrer dans le cimetière par l’Est et voir le cartouche contre le clocher

Cartouche apposé sur le clocher

L’église primitive était régulièrement orientée (Est-Ouest), le clocher surmontant le chœur dans le prolongement de la nef centrale. Celle-ci avait une surface de 121 m². Sur les côtés, on trouvait deux basses nefs qui se prolongeaient irrégulièrement jusqu’à cinq ou six mètres et se terminaient par deux chapelles, aussi irrégulières, couvertes par des voûtes en maçonnerie, le reste par des planches, le tout ayant peu d’élévation.

La nef était recouverte par un plancher en mauvais état de 6 m de hauteur. Les nefs étaient divisées par deux rangs de piliers qui soutenaient quatre arcades de largeurs et de hauteurs différentes. Les murs gouttereaux, construits en petits moellons mal appareillés, n’avaient que trois mètres de hauteur.
Une importante tribune de 75 m² arrivait jusqu’aux deux premiers piliers. Le bâtiment avait une surface totale de 235 m² et pouvait contenir 690 personnes.

La porte principale ouvrait dans la façade Ouest tandis que deux portes latérales, l’une au Sud et l’autre au Nord, donnaient accès au cimetière.
Le parvis devait être très petit, coincé entre l’église et le mur d’enceinte du cimetière. Le dessin qui la représente sur la carte des biens de l’abbaye de Tamié en 1706 est très proche de cette description, hormis le clocher. Il montre par ailleurs une ouverture dans le mur pignon au-dessus de la porte d’entrée, ainsi qu’une rangée de trois fenêtres dans le mur gouttereau Sud.

En entrant dans le clocher, on peut voir les croisées d’ogive et le placard dans le mur Est, les inscriptions et peintures de l’ancien édifice.
Le linteau de la porte Nord est orné, à l’intérieur, du monogramme IHS aux lettres fortement entrelacées, surmonté d’un alpha gothique (IHS est une abréviation du nom de Jésus en grec).
Le chœur de l’ancien édifice est voûté d’ogives, les quatre arcs nervurés partant des quatre angles de la pièce et se rejoignant en un médaillon central.
Dans la montée au clocher, on peut encore apercevoir un certain nombre de peintures : des croix de consécration, des fleurs, un monogramme IHS au-dessus du placard. Les arcs étaient recouverts de peintures vives (aujourd’hui, on aurait plutôt tendance à mettre les pierres à nu). La voûte révèle également des peintures polychromes.

Lors de la reconstruction de l’église, la cloche, fêlée et jugée trop petite (600 kg), et ne pouvant être entendue des hameaux éloignés, fut remplacée par une nouvelle, plus grosse (l340 kg), fabriquée par Paccard, fondeur à Quintal. Pour la recevoir, la municipalité fit reconstruire un beffroi neuf. On vendit pour ce faire une coupe de bois. Les cordes nécessaires au bon fonctionnement furent commandées à Jean Pavinet, cordier à Faverges.

Ressortir vers l’Ouest du cimetière.

Lorsqu’il arriva dans la paroisse en 1805, le curé Suscillon y trouva une église en piteux état, « tout son chagrin était d’avoir une église caduque, ruinée, délabrée, trop exigüe pour contenir la population, surtout aux grandes solennités« . Il n’y a même pas assez de place pour installer des bancs pour les diverses autorités de la commune. C’est pourquoi le Conseil de Fabrique (NDLR – équivalent du comité paroissial) demanda à la commune la reconstruction de l’église et fit faire plusieurs devis estimatifs en 1811.

En attendant la nouvelle église

L’histoire de cette reconstruction est romanesque et mérite vraiment que l’on s’y attarde tant elle reflète la vie sociale dans cette commune rurale qu’est Seythenex au XIXème siècle.

La nécessité de reconstruire l’église ayant déjà été démontrée par le révérend Suscillon mais les finances locales ne le permettant point, ce sera donc son successeur, le révérend Veuillet, qui emportera la décision.

Le 25 mai 1829, le conseil communal, devant l’accroissement prodigieux de la population et l’état lamentable de l’édifice, reconnut la nécessité de la reconstruction. « … cette église n’est pas voûtée mais qu’elle a seulement un plancher très caduque et usé ainsi qu’une partie du souspied, que toute la charpente est en ruine et usée » peut-on lire dans le compte-rendu. Il proposa la démolition de la nef et son agrandissement jusqu’à deux pieds du mur du cimetière, supprimant ainsi le parvis existant.

Ce principe ayant été adopté, une question cruciale fut posée par certains conseillers : reconstruire d’accord, mais pourquoi pas ailleurs ?

Si, pour les habitants de la section du Couchant la question n’avait pas lieu d’être, pour ceux du Levant, il n’en était pas de même, et leur argumentaire était fortement étayé : l’église est excentrée, le village le plus peuplé est celui des Combes, la plus grande partie des revenus de la Fabrique provient de la section du Levant, l’accès à l’église est difficile, notamment en hiver, etc. Cette revendication n’était pas nouvelle, la question était déjà sous-jacente lors de la construction de la chapelle des Combes à la fin du XVIème siècle, deux siècles et demi plus tôt.

Ce ne sont donc pas les fonds qui firent défaut, mais les choses furent bloquées du fait de l’opposition des habitants de la section du Levant qui demandaient que l’église fût transloquée au village du Terthenoz, plus central. Peut-on imaginer un instant le chef-lieu perdre son église au profit d’un hameau, certes mieux placé, mais sur l’autre section ?

Le 15 juin 1837, le Conseil de Fabrique fit dresser par l’architecte Ruphy des plans de reconstruction qui furent acceptés par les autorités.

Comme nous l’avons vu plus haut, il s’avérait impossible de restaurer le bâtiment vu son état général ; de plus, un agrandissement de la nef vers l’Ouest aurait été trop compliqué et onéreux à cause d’un talus important qu’il eût fallu remblayer. L’architecte proposa donc la démolition totale, ne conservant que le clocher, et sa reconstruction dans le sens Nord-Sud afin de pouvoir recevoir un nombre plus élevé de paroissiens.

Les plans qu’il dressa, d’un style néo-classique, montrent une grande nef centrale de 16,50 m de long sur 7,50 m de large et 11,60 m de hauteur sous la clef, deux basses nefs de même longueur, de 3,50 m de large et 8,80 m de haut, un chœur à une travée moitié moins longue que celles de la nef et une abside en cul-de-four. Sa surface totale est de 380 m², y compris la tribune, et peut contenir 1140 personnes (la norme est de 1/3 de m² par personne).

Les nefs sont séparées par deux rangées de piliers et voûtées en plein cintre. L’éclairage naturel se fait par deux séries de baies semi-circulaires dans les murs gouttereaux Est et Ouest, comme il est de mode à l’époque du néo-classicisme. Cette position des ouvertures donne une luminosité et un éclat particulier à l’intérieur et particulièrement au retable qui s’en trouve d’autant plus mis en valeur. L’entrée principale, à fronton classique, est percée au milieu de la façade d’une porte qui ouvre sur la nef centrale. Une porte latérale, dans le mur de la basse nef gauche, permet un accès direct au cimetière. Le montant des travaux, au 30 juillet 1837, est estimé à 11349 livres neuves.

Le conseil communal trouva alors les fonds par la vente de biens communaux. Mais voilà, les habitants de la section du Levant tenaient toujours à la translocation de l’église. De guerre lasse, le curé s’adressa au Conseil permanent à Turin qui lui donna raison en approuvant les plans et le lieu de reconstruction.

Usé et fatigué des attaques personnelles incessantes, le curé Veuillet demanda sa mutation qui fut acceptée par l’évêque. En octobre 1841, il prit possession de la cure de Desingy.

Le local provisoire

C’est ainsi qu’en octobre 1841, le révérend Jean-François Guillot fut nommé curé de Seythenex et se trouva confronté au problème épineux et récurrent de l’église.

Avant la visite paroissiale de Monseigneur Rendu prévue le 17 avril 1844, le conseil fit réaliser quelques travaux pour 216£ 10c, mais ce ne fut pas suffisant car, lors de sa venue, l’évêque jugea l’église digne d’interdit si l’on ne prenait pas d’urgence les moyens de sa reconstruction. Monseigneur Rendu en fit une triste description à l’intendant : « J’ai trouvé là une église où je ne voudrais pas tenir des bestiaux, un jour d’hiver, le curé a trouvé un pied et demi de neige dans la chaire, j’ai vu des poutres du plafond rompues, une tribune vermoulue sous laquelle je n’ai pas osé aller pendant qu’elle était chargée de monde. » Le conseil décida la vente de biens communaux. L’évêque accepta alors la poursuite des offices jusqu’à la Toussaint, le temps de trouver un local provisoire.

Fin octobre, rien n’était fait. Le conseil se décida à trouver ce local en janvier 1845. Le 6 février, l’intendant reconnaît l’urgence de reconstruire l’église. Après moult hésitations, on décida de construire un bâtiment provisoire en bois sur la place publique pour le ler octobre et les charpentiers se mirent à l’ouvrage… en décembre.
En avril 1846, rien n’était fait.
Enfin les travaux, sous la direction du charpentier Ducruet, débutèrent en mai mais restèrent inachevés quelques temps, les habitants de la section des Combes mettant beaucoup de mauvaise volonté à fournir leur quote-part des matériaux.
Fin 1846, le local prenait déjà l’eau ; d’autre part, l’on n’avait pas pensé à l’autel. C’est donc le curé qui le fit construire sur ses propres deniers dont il réclama le remboursement au conseil début 1847.

L’église contre un pont

L’intendant de la province de Haute-Savoie à Albertville était sollicité par tout le monde, les pour comme les contre : le curé, le syndic, les opposants, la fabrique et les habitants du Couchant qui lui firent parvenir une belle pétition cosignée par la quasi-totalité des chefs de familles de la section.

C’est alors que, lorsqu’il ne fut plus question de différer la reconstruction de l’église, les autorités ayant confirmé le choix de la fabrique, les habitants du Levant émirent de nouvelles objections ; il faut rappeler que le conseil double était composé de sept habitants du Levant et quatre du Couchant.

Cela se passa début 1847. Le nouveau syndic, François Chaffarod de Neuvillard, ayant assemblé son conseil, réussit à obtenir l’accord des opposants au projet en échange de la construction d’un pont sur le Bar, en aval des Moulins, afin de pouvoir se rendre plus facilement au chef-lieu.

L’intendant, après avoir approuvé cette demande, promit d’envoyer un ingénieur pour examiner la possibilité et l’utilité de ce projet. Promis pour la mi-mars, ce rapport n’était toujours pas présenté en mai, ni à la mi-août, ni à Noël d’ailleurs, ce qui eut pour conséquence de différer d’autant les premiers travaux.

Le texte tant attendu arriva enfin fin janvier 1848. Le rapport de l’ingénieur Boëry préconisait de jeter un pont en bois de 5 m de large là où le ravin est le plus étroit, c’est-à-dire « sous Arénoz. Celui-ci ne verra jamais le jour et il faudra attendre 1911 pour pouvoir emprunter le nouveau pont, totalement différent du projet de 1847 ; soixante-trois ans se seront écoulés entre la décision et l’exécution.

Les travaux commencent

Plus rien ne s’opposant au projet, les travaux sont adjugés le 17 mai 1848 à l’entrepreneur Jacques Gianoli, originaire de la Valsésie, pour la somme de 19800 livres pour une mise à prix de 19832 livres et 49 centimes, sur les plans dressés en 1837 par l’architecte Ruphy.

Fin mai, l’entrepreneur se met à l’œuvre. Après avoir démoli l’ancienne église, il creuse les fondations dans le cimetière après que les habitants ont déplacé les cadavres et ossements dans de nouvelles fosses.

Le 25 juin 1848, la pierre fondamentale est enfin posée. A peine commencée, on décide d’agrandir l’église en allongeant le chœur d’une travée. Les travaux vont bon train, l’entrepreneur se fournit en pierres à la carrière du Biollay, au-dessus du chef-lieu, en sable (mais de mauvaise qualité) à proximité et il établit un four à chaux à côté du cimetière. Les maçons se servant de sable terreux, il arriva ce qui devait arriver : à la fin d’octobre, après plusieurs jours de pluie mélangée à de la neige, le mur Ouest s’écroula sur plusieurs mètres puis l’abside sur une dizaine.

Les travaux reprirent en avril 1849, l’architecte trouva que les piliers en maçonnerie n’étaient pas conformes et les fit reconstruire en pierres de taille. Les voûtes sont ensuite construites en tuf de Saint-Ferréol.
Les travaux s’arrêtent aux mauvais jours pour reprendre à Pâques 1850.
Fin mai, ils sont quasiment achevés et le maître autel est installé dans l’abside.
L’artisan sculpteur Jean Delponte, de Bourg Saint-Maurice, est chargé d’exécuter la chaire et le plancher. Le fit-il ? On peut en douter car une chaire est de nouveau commandée en 1863 au sculpteur chargé de faire les autels latéraux.
On peut s’attendre à ce que tout soit terminé pour la fin de l’année, mais voilà, le syndic assigne l’entrepreneur pour malfaçons.
Tout est bloqué jusqu’en été 1851 et, le 4 octobre, l’église est bénie.
Enfin le 22 mai 1858, elle est consacrée par Monseigneur Rendu, évêque d’ Annecy.

Le retable

Un premier retable fut construit en 1760 ; il aurait coûté la somme de 1920 florins.

En 1805, lorsque le révérend Suscillon devient curé de la paroisse, il est noté que « cette église n’avait presque pas d’autel ou n’avait qu’un simulacre d’autel ». Ne pouvant obtenir la remise en état de l’église, faute de moyens tant communaux que fabriciens, le révérend Suscillon mit tout en œuvre pour avoir au moins un autel décent, ce qui fut fait quelques années plus tard.

Fin 1810, après avoir signé la convention, deux sculpteurs valsésiens, J-B. Gilardi et son fils Joseph-André, auteurs ou restaurateurs de nombreux retables dans tous les États de Savoie, se mettent au travail. Joseph André Gilardi, âgé de 13 ans, note dans son journal que son père et lui « ont fait le retable de Seythenex ». Toutefois, le Conseil de Fabrique n’a inscrit dans ses comptes le paiement de l’ensemble des travaux que le 21 mai 1815.

En 1850, le retable est installé à la place qu’il occupe aujourd’hui. Il doit être restauré car, étant resté en place dans l’ancien chœur pendant la durée des travaux de reconstruction, il avait subi des dommages importants.

Le jeudi de l’Ascension 1979, un court circuit mit le feu à ce vénérable monument. Il ne fut pas exactement la proie des flammes mais plutôt se consuma lentement, dégageant une épaisse fumée qui envahit l’église. Les pompiers, arrivés sur place, firent tomber à l’aide de cordes les deux corps supérieurs, le soubassement et le tableau central étant déjà en grande partie détruits, puis entassèrent les débris à l’extérieur, dans le cimetière, contre le mur Ouest, près de la porte latérale. C’est à ce moment que, devant le peu d’empressement que mettaient certaines gens à sauver ce qui restait du meuble, quelques personnes présentes prirent l’initiative d’emporter les morceaux encore fumants pour les tremper dans le bassin et les déposer sur les escaliers de la salle de la cure (un élu de l’époque les interpella au motif qu’il fallait « laisser brûler ces vieilleries, ça débarrasse ». C’est grâce à cette intervention que Saint-François de Sales et Saint-Laurent trônent encore dans leurs niches à coquille rouge et or. La restauration, nous devrions plutôt dire la reconstruction à l’identique, fut effectuée par René Simond, menuisier ébéniste à Chamonix, et Mme Bartolini, professeur de dessin à Salon de Provence. Trois années de travail seront nécessaires à la remise en état. Il a été inauguré le 11 septembre 1983.

Le retable

Saint-Laurent

Saint-François de Sales

Le centre de l’étage principal est occupé par un tableau représentant à gauche Saint-Sigismond, à droite le martyre de Saint-Sébastien, entre les deux, caché par le tabernacle, le puits dans lequel fut jeté Saint-Sigismond, et au sommet, présentée par deux anges, la Sainte Vierge.

De chaque côté du tableau, dans deux niches à coquille, à gauche la statue de Saint-François de Sales, à droite celle de Saint-Laurent. Chaque niche est entourée de colonnes à fines cannelures, à bases toscanes et à chapiteaux composites.